Fonction publique : vie privée et sanction disciplinaire

Les administrations publiques sont en droit d’attendre de leurs agents un comportement irréprochable, qu’ils soient en service ou même dans le cadre de leur vie privée. C’est ainsi que des faits de la vie privée peuvent tout à fait servir de fondement à une sanction disciplinaire.

En toute logique, une telle sanction parait justifiée dès lors que l’agent a été sanctionné pénalement.

La question est bien plus délicate lorsque les faits en cause ne sont constitutifs d’aucune infraction pénale mais constituent uniquement une atteinte à l’obligation de dignité pesant sur les agents publics [1].

Sanction disciplinaire en cas de sanction pénale pour des faits relevant de la vie privée de l’agent

L’obligation de dignité reposant sur les agents publics entraine la possibilité, pour les administrations, de sanctionner disciplinairement des faits de la vie privée ayant par ailleurs donné lieu à une condamnation pénale.

L’article 5 de la loi n°83-634 exige ainsi notamment d’un fonctionnaire qu’il jouisse de ses droits civiques ou encore que les mentions portées au bulletin n°2 de son casier judiciaire ne soient pas incompatibles avec l’exercice de ses fonctions.

Ainsi, fort logiquement, la condamnation pénale d’un agent public, même pour des faits relatifs à sa vie privée, peut justifier une sanction disciplinaire allant jusqu’à la révocation dès lors que leur « gravité est à elle seule incompatible avec l’exercice des fonctions publiques exercées par l’agent. Dans cette hypothèse, l’absence de publicité des faits commis par l’agent est indifférente. Ce sont les excès commis par l’agent qui se révèlent inconciliables avec le service » [4].

Le critère retenu est donc l’incompatibilité entre les faits commis par l’agent, quelles qu’en soient les circonstances, et l’exercice d’une fonction publique.

Sanction disciplinaire en l’absence de caractère pénalement répréhensible de faits relevant de la vie privée de l’agent

Qu’en est-il des actes de la vie privée exclusifs de toute sanction pénale ?

A priori, on pourrait croire que l’administration n’a pas à connaître des comportements de ses agents n’ayant aucun lien avec le service dès lors qu’ils ne sont pas pénalement répréhensibles. Ce n’est toutefois pas le cas : le comportement privé d’un agent peut en effet également avoir des répercussions sur l’image ou l’honneur de sa profession et donc s’avérer incompatible avec l’exercice d’une fonction publique.

L’administration peut donc tout à fait engager une procédure disciplinaire à l’encontre de l’un de ses agents si elle considère son comportement dans la sphère privée contraire aux bonnes mœurs. Notons qu’en l’espèce, « le risque de dérapage de l’employeur public consistant à contrôler la moralité de la vie privée de ses agents n’est pas négligeable » [5].

Il convient de distinguer selon que les faits en question ont été portés à la connaissance du public ou sont restés confidentiels.

Faits relevant de la vie privée et portés à la connaissance du public

Concernant les errances de la vie privée des agents publics, c’est en règle générale la « connaissance [des faits] par le public ou les usagers du service qui emporte l’agent dans la tourmente disciplinaire » [6].

À titre d’exemple, il a notamment été jugé qu’un agent ayant « entretenu une relation avec l’épouse d’un [de ses collègues] en déplacement en Nouvelle-Calédonie, [bien] que le comportement d’un fonctionnaire (…) en dehors du service [puisse] constituer une faute de nature à justifier une sanction s’il a pour effet de perturber le bon déroulement du service ou de jeter le discrédit sur l’administration [n’a pas eu pour effet] de porter gravement atteinte à la dignité militaire ou au renom de l’armée [puisque] M. X avait conservé à la relation qui lui est reprochée un caractère strictement privé et qu’il n’a pris aucune part à la publicité qui lui a été donnée » [7].

En l’absence de publicité de faits pénalement non répréhensibles mais potentiellement « indignes », le principe est l’absence de sanction disciplinaire. Il existe toutefois des exceptions à ce principe.

Faits relevant de la privée, demeurés confidentiels, mais par essence incompatibles avec l’exercice d’une fonction publique

L’absence de publicité de faits « indignes » mais non pénalement répréhensible n’est pas toujours exclusif d’une sanction disciplinaire : parfois, « le juge retient que certains comportements sont par nature incompatibles avec la dignité de la fonction ou il considère que certains faits sont de nature à porter la déconsidération sur le corps auquel [l’agent appartient], et, de cette manière, il extrait quelque peu la « connaissance par le public » de l’équation de la réputation de l’administration » [8].

Ainsi, il a par exemple été jugé, concernant la fonction publique d’État, « que l’activité de modèle pour pose photographique à connotation pornographique portait atteinte à la considération du corps des professeurs de lycée professionnel et à la dignité de la fonction enseignante et que l’activité de prostitution portait atteinte aux bonnes mœurs et affectait de ce fait la réputation de l’administration et l’image de l’éducation nationale (…) ces activités [étant], par elles-mêmes, contraires au comportement que l’on peut attendre d’un agent public » [9]. La circonstance que ces faits n’aient pas été publics ni connus de tous n’a dès lors pas empêché l’administration de pouvoir les sanctionner disciplinairement.

Dans le même registre, il a déjà été jugé qu’un agent ayant « tourné à deux reprises dans des films de caractère pornographique moyennant rémunération et [ayant] autorisé la parution des photos et la distribution de cassettes vidéos dans lesquelles elle figure tant en France qu’à l’étranger [a commis des] faits contraires à l’obligation de dignité qu’on est en droit d’attendre d’un fonctionnaire [constituant] une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire » [10].

Pour les faits les plus graves, peu importe donc leur médiatisation : dès lors qu’ils témoignent des mauvaises mœurs de l’agent, une sanction disciplinaire est encourue en raison de l’atteinte – avérée ou putative – à l’image de la fonction publique.

Le problème est dès lors de déterminer quelles activités sont susceptibles d’être considérées comme contraires aux bonnes mœurs. Il s’agit là d’une notion évolutive qui suppose « en creux de la part du juge administratif une analyse prospective, un raisonnement inductif et surtout un jugement de valeur – un regard moral – sur le comportement litigieux » [11]. Comme le remarque Monsieur le Professeur Didier JEAN-PIERRE, « il en ressort parfois une impression désagréable d’imprévisibilité de la jurisprudence et parfois même d’absence de cohérence » [12].

L’obligation d’un comportement irréprochable

Les agents publics doivent donc toujours s’assurer, par leur comportement général, de ne jamais porter atteinte à l’image de leur employeur ou de leurs fonctions. La jurisprudence emploie parfois le terme d’atteinte à l’honneur de leur profession [13].

Plus généralement, par leur comportement, les agents publics ne doivent causer aucun trouble au fonctionnement des services. Ils sont donc tenus à un comportement irréprochable, tant dans l’exercice de leurs fonction que dans le cadre de leur vie privée [14].

Références

[1] Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. JORF, 14 juillet 1983, p. 2174. Article 25, alinéa 1er : « le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité ». Selon toute logique, cette obligation s’applique également aux agents contractuels.

[2] CANEDO-PARIS Marguerite. « La dignité humaine en tant que composante de l’ordre public : l’inattendu retour en droit administratif français d’un concept controversé ». RFDA, 2008, n°5, p. 979.

[3] Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. JORF, 14 juillet 1983, p. 2174. Article 5.

[4] JEAN-PIERRE Didier. « Errances de la vie privée et poursuites disciplinaires ». JCP A, 2006, n°50, 1302.

[5] Ibidem.

[6] Ibidem.

[7] CE, 15 juin 2005, Charles B., n°261691. JCP A, 2005, 1270, note D. Jean-Pierre.

[8] CAMUS Aurélien. « La dignité de la fonction en droit de la fonction publique ». RFDA, 2015, n°3, p. 541.

[9] CAA Versailles, 8 mars 2006, Marie-Paule C., n°04VE00424. AJFP, 2006, n°6, p. 150, note R. Fontier.

[10] CAA Paris, 9 mai 2001, Ministre de l’intérieur contre Slujka, n°99PA00217 (arrêt signalé par Monsieur le Professeur Didier JEAN-PIERRE au sein de son article précité).

[11] CAMUS Aurélien. « La dignité de la fonction en droit de la fonction publique ». RFDA, 2015, n°3, p. 541.

[12] JEAN-PIERRE Didier. « Errances de la vie privée et poursuites disciplinaires ». JCP A, 2006, n°50, 1302.

[13] En ce sens, voir notamment : CAA Marseille, 8 février 2008, Commune de Béziers, n°05MA00030. AJDA, 2008, p. 1330, note M.-Ch. de Monteclerc. AJFP, septembre 2008, p. 257 (« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que [le requérant] a effectué en 1999 une démarche, en qualité de policier municipal, auprès du commissariat central de Béziers pour faire annuler une contravention de petite voirie dressée à l’encontre d’un de ses proches ; qu’un tel comportement, qui ne peut être totalement cautionné par la circonstance que le maire de la commune ait toléré jusque-là ce genre de pratique, constitue un manquement à l’honneur professionnel [du requérant] »). Ou encore : CE, 15 mars 2004, Pinon, n°255392. JCP A, 2004, 1354, note D. Jean-Pierre.

[14] À titre d’illustration, et concernant des propos outranciers à l’encontre de supérieures hiérarchiques, justifiant une sanction disciplinaire : CAA Douai, 19 février 2009, Commune de Dunkerque, n°08DA01126. AJFP, 2009, p. 258.

Gauthier Jamais – Avocat en droit public, Docteur en droit public
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