Les administrations gèrent de nombreux services publics au moyen d’une délégation de service public. Si un tel mécanisme est régulièrement employé dans le cadre des services publics industriels et commerciaux, il peut également l’être dans le cadre d’un service public administratif, même s’il convient de signaler que ce cas est beaucoup plus rare (en ce sens : CE, avis, 7 octobre 1986, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur chargé des collectivités locales, n°340609). Parfois, les nécessités de service ou même une volonté d’optimisation conduisent l’administration à reprendre en régie directe une activité autrefois exercée pour son compte par une personne morale de droit privée. Dans un tel cas de figure, se pose la question du devenir des contrats de travail – obligatoirement de droit privé – conclus par cette dernière. La réponse à une telle question est aujourd’hui aisée : l’article L1224-3 du code du travail détaille précisément les conséquences en cas de reprise d’activité.
Il est donc aujourd’hui évident qu’une telle reprise d’activité conduit la personne publique à proposer la conclusion de contrats de droit public à l’ensemble des salariés repris. Il s’agit par conséquent, là encore, d’un cas spécifique dans lequel une administration est tenue d’employer le contrat comme mode de recrutement de ses agents, quel que soit le type d’emploi qu’ils occuperont.
Les conséquences d’une telle reprise d’activité en régie directe n’ont pas toujours été aussi claires et ont d’ailleurs donné lieu à un contentieux particulièrement intéressant. C’est ainsi que nous nous attarderons sur le droit applicable jusqu’à l’intervention de la Cour de Justice des Communautés Européennes et son arrêt Mayeur. Il convient en effet de noter que la jurisprudence nationale était initialement opposée à la poursuite des contrats de travail en cas de reprise en régie d’un service public administratif autrefois délégué. Ensuite, nous nous intéresserons à l’influence de cet arrêt sur la jurisprudence et la législation françaises.
Une opposition nationale à la poursuite des contrats de travail en cas de reprise d’activité
L’alinéa 2 de l’article L122-12 du Code du Travail, dans sa rédaction héritée de la loi du 19 juillet 1928, précisait que : « s’il survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise » (cité par : GLASER Emmanuel. « Conclusions rendues à l’occasion de l’arrêt CE, 22 octobre 2004, M. Lamblin, n°245154 ». RGCT, 2005, n°33, pp. 106-116).
La Cour de Cassation, sur la base de ces dispositions, considérait que « la reprise d’une activité par un service public administratif est exclusive de l’application de l’article L122-12 alinéa 2 du code du travail« , sous réserve que « le gestionnaire de ce service [soit] une personne publique« .
En d’autres termes, depuis 1928, le droit applicable pouvait se résumer de la sorte : lorsque l’activité reprise en régie par une personne publique était industrielle et commerciale, les contrats de travail devaient être maintenus à l’identique ; au contraire, dès lors que l’activité reprise en régie était une activité de service public à caractère administratif, les contrats de travail n’avaient pas à être poursuivis. On observait ainsi une dichotomie particulièrement marquée selon la nature administrative ou industrielle et commerciale de l’activité reprise en régie.
La reprise d’activité face à l’arrêt Mayeur
Toutefois, cet état de fait a été bouleversé par la Cour de Justice des Communautés Européennes. Au sein de son arrêt Mayeur, rendu le 26 septembre 2000, la Cour a eu à interpréter la conformité du droit français à la directive n°77/187/CEE du 14 février 1987, codifiée par la directive n°2001/23/CEE du Conseil du 12 mars 2001.
D’application directe, cette directive n’avait jamais été transposée par la France, cette dernière « estimant que l’article L122-12 [du code du travail] suffisait à remplir les objectifs qu’elle imposait » (GLASER Emmanuel. « Conclusions rendues à l’occasion de l’arrêt CE, 22 octobre 2004, M. Lamblin, n°245154 ». RGCT, 2005, n°33, pp. 106-116).
Au sein de cet arrêt, la Cour a précisé que « les articles 1er, paragraphe 1, et 2, sous b), de la directive 77/187 ne permettent (…) pas d’exclure du champ d’application de celle-ci le transfert d’une activité économique d’une personne morale de droit privé à une personne morale de droit public, en raison du seul fait que le cessionnaire de l’activité est un organisme de droit public ». Ce faisant, la Cour a remis en cause la totalité de la jurisprudence alors en vigueur.
Évolutions de la jurisprudence et de la législation en cas de reprise d’activité
Une invitation jurisprudentielle à faire évoluer les textes
La Cour de Cassation et le Tribunal des Conflits ont rapidement pris acte de l’interprétation de la directive n°77/187/CEE du 14 février 1987 effectuée par la Cour de Justice des Communautés Européennes, modifiant leur jurisprudence en conséquence et confirmant donc l’applicabilité de l’article L122-12 alinéa 2 du code du travail en cas de reprise en régie directe d’un service public administratif.
La personne publique se devait donc de reprendre les contrats de travail précédemment conclus par la personne privée mais la question des modalités d’application de cette reprise n’était pas résolue : la personne publique se devait-elle de continuer les contrats de droit privé, de titulariser ces agents ou encore de leur proposer un contrat de droit public ? Ce contrat devait-il reprendre la totalité des dispositions du précédent contrat de droit privé, même en ce qu’il a de contraire aux principes gouvernant le droit de l’emploi public administratif ? Au contraire, ce nouveau contrat de droit public devait-il être adapté aux exigences du droit de l’emploi public administratif ? Dans l’affirmative, dans quelle mesure cette adaptation pouvait-elle être effectuée ?
Il sera nécessaire d’attendre que le Conseil d’État se prononce sur ce point de droit pour enfin entrapercevoir quelques réponses à ces questionnements.
Le Conseil d’État s’est prononcé sur cette question à l’occasion de son arrêt Lamblin, rendu le 22 octobre 2004. La haute juridiction a alors précisé que : « lorsque l’activité d’une entité économique employant des salariés de droit privé est reprise par une personne publique gérant un service public administratif, il appartient à cette dernière, en l’absence de dispositions législatives spécifiques, et réserve faite du cas où le transfert entrainerait un changement d’identité de l’entité transférée, soit de maintenir le contrat de droit privé des intéressés, soit de leur proposer un contrat de droit public reprenant les clauses substantielles de leur ancien contrat dans la mesure, ainsi que l’a jugé la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt n°C-175/99 du 26 septembre 2000, où des dispositions législatives ou réglementaires n’y font pas obstacle ; que, dans cette dernière hypothèse, le refus des salariés d’accepter les modifications qui résulteraient de cette proposition implique leur licenciement par la personne publique, aux conditions prévues par le droit du travail et leur ancien contrat ».
Il convient tout d’abord de noter que le Conseil d’État émet deux réserves à son analyse : l’absence de dispositions législatives spécifiques à ce cas de figure ainsi que l’absence de changement d’identité de l’entité transférée. Sous ces deux réserves, le Conseil d’État confirme l’obligation faite aux personnes publiques de reprendre le contrat précédemment conclu par la personne privée et laisse une marge de manœuvre assez conséquente aux autorités administratives, leur donnant la possibilité de maintenir le contrat tel quel – et par conséquent son régime de droit privé – ou de proposer un contrat de droit public reprenant l’ensemble des clauses de l’ancien contrat en les adaptant si nécessaire aux exigences du droit de l’emploi public administratif. Le Conseil d’État précise également que pour le cas où le salarié refuserait ce nouveau contrat de droit public, il devra nécessairement être procédé à son licenciement sur la base de son ancien contrat de travail de droit privé. Par là-même, toute titularisation des personnels repris est écartée : le Conseil d’État affirme avec force que seul le mécanisme contractuel peut permettre d’assurer le respect des prescriptions de la directive n°77/187/CEE du 14 février 1987.
La réponse du législateur
Les pouvoirs publics finiront par se plier à l’invitation formulée par le Conseil d’État au sein de son arrêt Lamblin, en refusant toutefois de légaliser cette jurisprudence.
Par la loi n°2005-843 du 26 juillet 2005, le législateur infirme la possibilité, pour l’administration, de maintenir en état les contrats de droit privé précédemment conclus, obligeant soit à la conclusion d’un nouveau contrat de droit public, soit au licenciement pur et simple de l’agent concerné. Il s’agit là « pour la doctrine majoritaire, (…) d’un bienfait : les catégories semblent claires et clarifiées et il n’est plus possible qu’un contractuel de droit privé soit employé par une personne publique dans le cadre d’un SPA[24] ».
Toutefois, et comme le remarque fort justement Monsieur le Professeur TOUZEIL-DIVINA, cette intervention législative n’a pas été sans créer une nouvelle difficulté : « ladite loi ne sera pas rétroactive [et] cela implique que l’ensemble des contrats de droit privé maintenus entre 2002 et 2005 ne deviendront pas de droit public (sauf intervention du législateur ou novation contractuelle) » (TOUZEIL-DIVINA Mathieu. « L’article L. 122-12 du code du travail confronté au droit public ». AJFP, 2006, p. 172).
Il convient en effet de noter que plusieurs jurisprudences ont été rendues antérieurement à l’adoption de la loi n°2005-843 et ont donc fait application de la jurisprudence Lamblin en considérant comme valables les contrats de droit privé repris sans modification aucune par la personne publique chargée de l’exercice d’un service public administratif. Le législateur ne s’est jamais saisi de cette difficulté.
Il a par la suite procédé à l’abrogation de l’article L122-12 du code du travail, remplacé par un nouvel article L1224-3 dont le dernier alinéa a été modifié par l’article 24 de la loi n°2009-972 du 3 août 2009. Sa rédaction actuelle est la suivante : « en cas de refus des salariés d’accepter le contrat proposé, leur contrat prend fin de plein droit. La personne publique applique les dispositions relatives aux agents licenciés prévues par le droit du travail et par leur contrat ». Auparavant, cet alinéa était rédigé de la sorte : « en cas de refus des salariés d’accepter les modifications de leur contrat, la personne publique procède à leur licenciement, dans les conditions prévues par le présent code et par leur contrat ». La nouvelle rédaction de cet alinéa permet de simplifier le régime juridique applicable en cas de refus par le salarié du contrat de droit public qui lui est proposé. En effet, en précisant désormais que le contrat prend fin de plein droit et non plus que la personne publique doit procéder au licenciement de l’intéressé, de nombreux écueils procéduraux sont susceptibles d’être évités. Nous ne pouvons que saluer cette volonté de simplifier un régime au demeurant particulièrement complexe.
La reprise d’activité ici évoquée conduit la personne publique à proposer la conclusion de nouveaux contrats de droit public à l’ensemble des salariés repris. Malgré l’évolution ici étudiée, jamais il n’a été question de procéder à la titularisation de ces agents.
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Avocat en droit public au Barreau de Lille, Docteur en droit public, Maître Gauthier JAMAIS forme, conseille et défend les administrations, les agents publics, les entrepreneurs et les particuliers. Il intervient dans toute la France métropolitaine, mais aussi dans les territoires et départements d’outre-mer.