La phase d’exécution des marchés publics n’est pas un long fleuve tranquille, loin s’en faut. Les sources de conflits, lors de la phase d’exécution des prestations, sont extrêmement nombreuses. Les réclamations en cours de chantier, adressées au maître d’ouvrage public, doivent répondre à un certain formalisme découlant généralement des mentions du CCAG applicable.
En matière de travaux, le CCAG applicable précise en son article 50.1.1 que « si un différend survient entre le titulaire et le maître d’œuvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation ». Les article 50.1.2 et 50.1.3 du CCAG travaux ajoutent que le représentant du pouvoir adjudicateur dispose d’un délai de 45 jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation pour y répondre. A défaut de réponse explicite dans ce délai, la réclamation est implicitement rejetée.
De telles dispositions ne posaient aucunement question jusqu’à l’entrée en vigueur le 1er janvier 2017 du décret n°2016-1480 du 2 novembre 2016, dit décret JADE (« Justice Administrative de DEmain »). Ce décret a apporté de nombreuses modifications à la procédure administrative contentieuse. Notamment, son article 10 est venu élargir aux marchés publics l’obligation d’introduire un recours dans le délai de 2 mois à compter de la notification ou de la publication de la décision attaquée. L’article R421-1 du code de justice administrative précise ainsi désormais que « la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ».
Le délai de recours contentieux prévu par les dispositions de l’article R421-1 du code de justice administrative est-il également opposable aux réclamations formulées en cours de chantier ? En d’autres termes, la décision de rejet d’un mémoire en réclamation présenté en cours de chantier par le titulaire d’un marché de travaux doit-elle obligatoirement, à peine de forclusion, être contestée par-devant le Tribunal Administratif dans un délai de 2 mois à compter de sa notification ?
La possibilité reconnue par la jurisprudence d’organiser contractuellement le règlement pré-contentieux des différends
Les parties disposent-elle de la faculté de déroger contractuellement au délai prévu par les dispositions de l’article R421-1 du code de justice administrative ?
Le Conseil d’État juge classiquement qu’il est tout à fait possible pour les parties d’aménager contractuellement les règles de saisine du Tribunal Administratif et les conditions de recevabilité des recours (en ce sens, pour illustration : CE, 18 septembre 2015, n°384523 ; ou encore : CE, 14 novembre 2014, n°376119).
Or, en l’espèce, le CCAG travaux ne prévoit aucun délai pour saisir le Tribunal Administratif suite au rejet d’une réclamation formulée en cours de chantier. Peut-on en déduire que le délai prévu à l’article R421-1 du code de justice administrative est inapplicable en matière de réclamation formulées en cours de chantier ? Cela semble, en tout cas, être l’avis de la Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l’Économie et des Finances (DAJ).
L’avis de la DAJ : l’inapplicabilité des dispositions de l’article R421-1 du code de justice administrative aux réclamations formulées en cours de chantier
Saisie pour avis par la Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP), la Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l’Économie et des Finances (DAJ) confirme notre impression initiale : « dans le champ contractuel, le juge se réfère systématiquement aux stipulations du contrat pour déterminer les délais de recours applicables. [Ainsi,] en matière contractuelle, sauf si les parties ont expressément entendu s’y référer, les dispositions de droit commun réglant la recevabilité des recours ne sont pas applicables. Seules les stipulations contractuelles, qu’elles figurent au CCAG ou au CCAP, sont opposables ».
Ainsi, et selon la DAJ, les réclamations formulées en cours de chantier et rejetées par le pouvoir adjudicateur n’ont pas à être portées devant le Tribunal Administratif dans un délai de 2 mois suivant leur notification, les dispositions de l’article R421-1 du code de justice administrative ne s’appliquant pas lorsque des dérogations contractuelles sont prévues.
Notons qu’il s’agit là seulement d’un avis rendu par la DAJ et qu’il conviendra de scruter attentivement les premières décisions qui ne manqueront pas d’être rendues en la matière.
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Avocat en droit public au Barreau de Lille, Docteur en droit public, Maître Gauthier JAMAIS forme, conseille et défend les administrations, les agents publics, les entrepreneurs et les particuliers. Il intervient dans toute la France métropolitaine, mais aussi dans les territoires et départements d’outre-mer.